Grandes figures de la civilisation musulmane
Grandes figures de la civilisation musulmane

AL-MAMUN LE MECENE

Ou le Calife éclairé 813-833

Fils d’Haroun al-Rashid, il est méconnu du grand public.

C’est pourtant grâce à son impulsion en politique du savoir que l’Occident médiéval devra plus tard son éveil intellectuel.

Homme d’action tout autant que de réflexion, al-Mamun consacre tout le début de son califat à assurer l’unité d’un empire immense, par la lutte contre la dissidence, le contrôle personnel de l’administration et de l’armée, et enfin la reprise de la guerre contre l’Empire byzantin.

C’est aussi pour s’affirmer comme empire hégémonique, en face de Byzance, qu’al-Mamun, souverain abbasside, accentue de façon déterminante la suprématie intellectuelle de Bagdad dans le monde : la langue arabe doit devenir la langue de la science, de toutes les sciences.

Il faut élaborer une culture nouvelle, intégrant les héritages persans, hellénistiques et indiens.
Adepte de l’école mutazilite, il l’impose comme doctrine officielle. Elle prône l’ouverture d’esprit, et le recours à la philosophie grecque pour arriver au concept de l’unicité de Dieu.

Par quels moyens mener une telle politique ?

Accorder de larges pensions aux savants, aux traducteurs et aux lettrés.

Pour ce faire il fonde à Bagdad la « Beit al-hikma », ou « Maison de la sagesse », dans laquelle, outre une immense bibliothèque, il finance des traductions du Grec, du Syriaque, du Persan, du Sanscrit.

Il y commande également des recherches de longue durée sur l’observation astronomique, ainsi que des ouvrages de sciences nouvelles tel que le « traité d’algèbre » d’al-Khwarizmi.
Bagdad devient alors un véritable foyer intellectuel et d’érudition, par la rigueur et la méthodologie scientifiques qui y règnent.

Autour du Calife se réunissaient hommes de sciences et de religion, lettrés et poètes, savants de toutes confessions pour des soirées de controverses et de discussions intenses.
Leurs travaux irrigueront pour des siècles tout l’Empire jusqu’à l’Andalousie, qui les transmettra à l’Occident par une seconde vague, tout aussi fondamentale, de traductions vers le Latin.

IBN SINA /AVICENNE 980-1037

Une tête bien pleine dans une tête bien faite.

« La médecine est l’art de garder la santé et éventuellement de guérir la maladie survenue dans le corps ».

Originaire de Afshana en Iran, il est élevé à Boukhara, en Ouzbékistan actuel, par un père préfet soucieux de lui donner une éducation poussée et très éclectique.
Il fait preuve d’une intelligence, d’une indépendance d’esprit et d’une mémoire exceptionnelles. A 10 ans, possédant déjà le Coran et les belles lettres, il se met à la philosophie : la logique, puis il lit la « Géométrie » d’Euclide, « l’Almageste », traité d’astronomie de Ptolémée (traduit en Arabe au début du IXème siècle). A 16 ans, ayant appris seul la médecine et les sciences naturelles, il est devenu le maître des plus grands docteurs de son temps.

Appelé au chevet de l’émir du Khorassan gravement malade, il réussit, seul parmi de nombreux médecins, à le guérir : celui-ci lui ouvre l’accès à sa splendide et riche bibliothèque. Là Avicenne lit tout ce qui l’intéresse. A 18 ans, il maîtrise toutes les sciences de son temps : désormais, il doit progresser par sa seule expérience et son travail : ce qu’il fera toute sa vie.

C’est un travailleur pieux, acharné et infatigable, il écrit la nuit, à cheval, sous la tente, il rêve de ses recherches : « chaque fois que je me trouvais dans l’embarras devant un problème ou que j’étais incapable d’établir le moyen terme d’un syllogisme, j’allais à la mosquée, je priais, je suppliais l’Absolu Instaurateur de l’Univers de me révéler ce qui m’était impénétrable et de me simplifier ce qui m’était laborieux. Puis la nuit, je revenais à la maison, je me remettais à lire et à écrire. Lorsque, je cédais au sommeil, quelque peu, je voyais en songe précisément la même question, de sorte que, pour plusieurs problèmes difficiles, la solution m’apparut pendant que je dormais. Ainsi, je devins maître en médecine, en logique, en sciences naturelles, en philosophie et en mathématiques ».

« Son indépendance d’esprit lui coûta cher, il connut la prison et l’exil, mais fut aussi médecin à la cour, conseiller politique, plusieurs fois ministre. Il fut même l’objet des « chasseurs de têtes » des princes ennemis, terminant ses jours par 14 années au service de la cour d’Ispahan.

Pour lui, « le premier moteur c’est l’âme ». Le corps et l’âme sont liés de façon divine et naturelle, et la maladie de l’un a des effets sur l’autre. Il insiste – déjà – sur les effets de la parole sur la santé psychique et somatique : il guérira bien des malades par la parole.
Son traité de médecine « al shifa », le « Traité de la guérison », ainsi que le « canon » seront traduits en Latin en Andalousie, et seront à la base de l’enseignement de la médecine en Occident médiéval jusqu’à la Renaissance : c’est « l’avicennisme latin » de la scolastique médiévale.
Avec le « Canon », Avicenne établit un cadre rationnel pour penser la médecine de manière systématique : en recourant constamment aux règles de la logique et en appliquant à la médecine les règles par ailleurs posées, le philosophe fait de la médecine une véritable « science ».

Sur le plan philosophique aussi sa pensée inspirée des Grecs anciens aura une immense influence : le théologien Thomas d’Aquin (+ en 1274) exploite sa théorie de la distinction de l’essence et de l’existence, une des bases de la philosophie scolastique néo-aristotélicienne.
Une postérité qu’il pressentait peut-être, lorsqu’il commençait ainsi ses mémoires : « Quand je grandis, cité ne fut à ma mesure ; quand mon prix s’éleva, Je manquai d’acheteurs… »

SALAH AL-DIN AL-AYYOUBI / SALADIN

Le Sultan chevalier, 1138-1193

Saladin succède à son oncle Shîrkûh en 1169 et devient vizir du calife fatimide (chi’ite) du Caire. Envoyé en Egypte pour y rétablir le sunnisme, Saladin, qui est kurde, abolit le califat fatimide en 1171, et fonde des madrasas sunnites. Poursuivant son combat contre les Francs, il s’empare peu à peu des possessions zenguides, et fait une entrée triomphale à Damas en novembre 1174.

Il peut alors réaliser son ambition :

Réunifier la Syrie sous son autorité de souverain ayyoubide et sunnite pour se retourner contre les Francs.

La chute d’Alep, puis de Mossoul consacre son titre de « al-malik al-nassir », (le roi victorieux), et lui donne les moyens de cette ambition. Il impose une guerre permanente aux Etats francs.

Pour gérer ce grand empire, Saladin s’appuie sur son armée qu’il réorganise, sa famille, et sur un remarquable bureau de la chancellerie qui le maintient informé de tout ce qu’il se passe dans les provinces reculées comme dans les territoires des Francs.

Pigeons voyageurs, chameaux, nageurs (chargés d’argent et de courrier lors du siège d’Acre), permettent aux kâtib (scribe ; pluriel : kutâb) à son service d’envoyer des centaines de missives par semaine. Un véritable système de propagande est mis en place. Les espions sont également précieux : certains sont des Francs passés à l’ennemi. Sibylle, l’épouse du prince d’Antioche, l’informe des mouvements de l’armée chrétienne dans sa principauté.
En Egypte, il avait conservé de bonnes relations avec les commerçants italiens de Pise, mais il interdit aux commerçants chrétiens locaux de commercer en mer Rouge.
En 1183, après un raid des Francs en mer Rouge sous la conduite de Renaud de Châtillon, sanguinaire impulsif, Saladin peut enfin déclarer le Djihâd.

Ses forces, en 1185 sont considérables.

Les Républiques de Gênes et de Venise lui fournissent du bois pour sa flotte, et des armes.
A Hattin, près de Tibériade, il écrase toute l’armée franque le 4 juillet 1187.
Grand seigneur, il fait libérer Guy de Lusignan, roi de Jérusalem, et met le siège devant la ville sainte, qui tombe le 2 octobre 1187.

Le Saint Sépulcre est fermé, les mosquées réouvertes.

Loin de rendre aux Francs leur massacre de 1099, Saladin paie lui-même le rachat de 8000 chrétiens, en fait libérer 10 000, et vend les autres comme esclaves. Seul Renaud de Châtillon paiera pour sa sauvagerie : Saladin se charge lui-même de lui trancher la tête devant les barons francs.

Cette reprise de Jérusalem entraînera la 3ème croisade.

Saladin est passé dans l’histoire, grâce aux chroniqueurs, comme un modèle de prince : on le dit religieux, chevaleresque, capable de générosité et de sagesse.

A ce titre, il fait l’objet de la jalousie, mais aussi de l’admiration de ses contemporains, musulmans ou chrétiens. L’un de ses médecins n’était autre que Maïmonide. Cette image alimente encore aujourd’hui légendes et littérature romanesque.

Il échappera par deux fois à des attentats « hashashiyyin » (qui donnera le mot : « assassin » ; secte chi’ite qui pratique l’assassinat des chefs sunnites).

Il laissera à Damas un ensemble de madrasas, d’hôpitaux et de constructions qui font encore la beauté de la ville, et son tombeau y est très visité.

IBN RUSHD /AVERROES

L’Andalou ou « le grand commentateur d’Aristote » 1126-1198

Né à Cordoue dans une famille de cadis (équivalent du ministre de la justice), Averroès a reçu une formation complète en matière de fiqh (doit musulman), de hadith (faits et gestes du prophète) et de kalam (discours sur la foi).

Esprit prolifique et curieux, il se lance ensuite dans l’étude des « sciences des Anciens » : philosophie, astronomie, physique, médecine, et acquiert une compétence particulière en controverse.
Il incarne, en Andalousie, le modèle du penseur musulman, cet « honnête » homme éclairé en toutes matières, comme Avicenne qui venait, lui, de Transoxiane, à l’autre bout des terres d’Islam. Cadi de Séville, puis de Cordoue, il est appelé ensuite à Marrakech par le roi almohade Abû Ya’qûb Yûsuf pour devenir son médecin personnel, à la suite du célèbre Ibn Tufayl. C’est le souverain Yûsuf qui demande à Averroès de se plonger dans l’étude d’Aristote. Ses nombreux travaux portent sur les fondements du droit, la physique, la médecine, mais c’est surtout par ses études sur la théologie et la philosophie qu’il se distingue et prend la célèbre place qu’il tient dans l’histoire des idées.

Son traité « Tahafut al tahafut » – « réfutation de la réfutation » est une réponse au philosophe al-Ghazali qui s’était livré dans sa « tahafut al-falasîfa » (« réfutation de la philosophie ») à une critique de la philosophie, opposée à la démarche de foi.

Averroès développe une pensée philosophique originale, qui reste d’ailleurs assez méconnue en Islam. S’opposant à Avicenne, il refuse l’idée d’un Etre nécessaire par soi et fait de Dieu l’Agent de l’univers, présent au monde physique qu’il régit. « On ne peut séparer essence et existence… » « Dieu est présent au monde physique, mais n’en est pas moins transcendant… »

Pour lui, deux voies d’accès s’ouvrent à la recherche de la vérité : celle du philosophe : de la raison, et celle du prophète : de la révélation.

Il exclut l’existence de deux vérités, l’une destinée au commun, l’autre aux esprits éclairés, pour admettre au contraire l’existence de deux aspects d’une même vérité. En cela, il est proche d’al-Farabi.

C’est en tant que « grand commentateur d’Aristote » qu’il aura une postériorité célèbre en Occident médiéval : en effet, c’est à travers ses traductions en Latin que les professeurs et étudiants de la montagne Sainte-Geneviève, d’Oxford, de Bologne, et de Louvain découvriront et étudieront Aristote – dont ils n’avaient pas les textes originaux – pendant plus d’un siècle.

L’ « Averroïsme latin » avait une telle présence en Occident chrétien, que Thomas d’Aquin (+ 1274), pour lutter contre son influence, écrira « contra Averroïstem » pour donner aux étudiants une lecture chrétienne d’Aristote.

A la fin de sa vie Averroès, victime de juristes orthodoxes cordouans, est exilé, et ses œuvres philosophiques sont brûlées.

Son protecteur al-Mansour, souverain de Cordoue, le fera réhabiliter. Mais Averroès meurt à Marrakech, d’où son corps sera rapatrié dans sa ville natale.

IBN AL ‘ARABI

1165-1240

Cet auteur, grand mystique, naît à Murcie (Espagne), dans une famille qui compte plusieurs adeptes au soufisme. A l’âge de huit ans, il suit son père à Séville et débute alors son éducation. Alors qu’il était malade, il aurait eu une vision qui bouleverse sa vie et développe son inclinaison religieuse. Grand voyageur, il va de ville en ville, en Espagne d’abord, puis à Tunis, au Caire, à Jérusalem ; il entreprend ensuite le pèlerinage à La Mecque, où il reste deux ans. Il mène une vie calme de lecture et d’enseignement et compose de nombreux ouvrages qui exerceront une grande influence. Il conseille ainsi sur les questions religieuses le souverain des Seljuqides de Rûm, Kay Kâ’ûs Ier (r. 1210-1219) lorsque Ibn al-‘Arabî s’était établi en Anatolie, où ses idées eurent beaucoup d’influence.

Ibn al-‘Arabî était un contemporain de Philippe Auguste, roi de France (r. 1180-1223) et de Chrétien de Troyes (v. 1135 – v. 1190).

BAYBARS Ier

Égypte-Syrie, né vers 1223 ; r. 1260-1277

Baybars aurait d’abord été l’esclave du sultan ayyûbide al-Mâlik al-Sâlih, qu’il accompagne en prison en 1239 et quelques mois plus tard, il combat en Syrie pour le compte du sultan d’Égypte. Il devient un soldat aguerri et multiplie les faits d’armes. Accompagné d’un groupe d’officiers, il fait assassiner son prédécesseur, le sultan Kutuz. Baybars devient alors en 1260 le quatrième sultan de la dynastie mamlûke (1250-1517), un terme qui veut dire « esclave ». Il marque le début de son règne par la consolidation des citadelles qui avaient été dévastées par les invasions mongoles, le remaniement des arsenaux, la construction de vaisseaux de guerre et de transport… Au début de l’année 1265 il part à la tête de son armée lancer une grande offensive contre les Francs, qui ne s’achèvera qu’en 1271. Les pertes territoriales pour les Croisés sont considérables à la mort de Baybars Ier en 1277. Il va poursuivre l’expulsion progressive des Croisés en Palestine.

Baybars Ier était un contemporain de Louis IX, « Saint Louis » (r. 1226-1270).

RASHID AL DIN

(v. 1247-1318)

Cet homme d’Etat persan, considéré comme le plus grand historien de la période il-khanide, naît dans une famille juive d’Hamadhân. Il reçoit une formation de médecin et intègre alors la cour mongole sous cette fonction. D’origine juive, il se convertit à l’islam dans les années 1270 et il n’eut de cesse toute sa vie de prouver sa foi musulmane, notamment par la rédaction d’écrits théologiques. Malgré une longue carrière dans les hautes sphères politiques, il ne fut pourtant jamais nommé ministre à part entière. Rashîd al-Dîn est particulièrement connu pour son travail d’historien, notamment avec son « Histoire universelle » (Jami ‘al-Tawârîkh), ouvrage commandé par le souverain mongol Ghazan (r. 1295-1304). Composé en cinq parties, l’Histoire universelle relate notamment l’histoire des Mongols, mais aussi des Juifs, des Francs, des Chinois et des Arabes… Accusé d’avoir empoisonné le souverain Öljeytü, il est exécuté en 1318 avec son fils Ibrâhîm.

IBN BATTUTA

Le « voyageur de l’Islam », 1304-1377

Né à Tanger, berbère, il reçoit une formation juridique traditionnelle, puis part dans une pérégrination qui durera trente ans.

Celle-ci le conduit en Egypte, Syrie, Arabie, Irak, Afrique occidentale, Anatolie, Transoxiane, Inde, Ceylan, aux Maldives, en Insulinde, Chine, ainsi qu’en Sardaigne, Ifriqya, Algérie et Andalousie.

Il devient ainsi le plus éminent voyageur et géographe de son temps.

Il rentre ensuite à Fès où il dicte à partir de 1355 sa relation de voyages à Ibn Juzayy, un lettré chargé par le souverain mérinide Abû Inân de collecter ses informations.
C’est une quête éminemment religieuse qui le conduit au voyage.

A Alexandrie, il rencontre les mystiques soufis, moment déterminant pour son parcours religieux, qu’il cherche sans cesse à approfondir à travers les diplômes, les tombeaux visités et les affiliations aux ordres mystiques.

A Damas, il obtient treize diplômes en trois semaines, et assure définitivement sa réputation de saint homme et juriste compétent : il peut ainsi monnayer les postes honorifiques et les titres, ce qui lui permettra de continuer voyages et recherches.

Il s’arrête de longues années à la cour du Sultan de Dehli, et occupe le poste de Cadi (juge suprême), aux Maldives.

Ibn Battûta s’est attaché toute sa vie à remonter aux sources de la religion, aux fondateurs mystiques, et sa relation de voyages illustre de façon vivante l’unité de la pratique religieuse et sociale, jusque dans des confins très récemment islamisés, dans et malgré un monde musulman très morcelé.

Reprenant parfois des informations d’Ibn Jobayr, il livre des renseignements inédits et très précieux pour son temps, en particulier sur l’Inde, l’Insulinde, l’Anatolie, l’Asie centrale et certains pays africains, alors pour une bonne part méconnus.

IBN KHALDOUN

L’historien « génial et aberrant », 1332-1406

Wâli al-dîn ‘Abd al-Rahmân ibn Muhammad Ibn Khaldûn est né à Tunis d’une grande famille de notables émigrés d’Andalousie. Tout jeune il est plongé dans les dramatiques soubresauts d’un siècle maghrébin en plein déclin.

En 1348, il a quinze ans et la Grande Peste Noire, dont l’horreur le marquera toute sa vie, le rend doublement orphelin. Elle emporte ses parents et ses maîtres, avec lesquels il avait commencé à assimiler l’essentiel du savoir de son temps : poétique, historiographie, théologie, jurisprudence et philosophie.

Toute sa vie se passera en succession de charges honorifiques dans la diplomatie, la magistrature, la chancellerie, et de disgrâces – prison y compris – au service de princes usurpateurs, envahisseurs, en proie aux rivalités de clans, aux assassinats, forfaitures, et guerres intestines.

Il vivra successivement en Tunisie, au Maroc, en Algérie, en Andalousie et en Orient.

Mais de ce chaos, cet esprit génial saura lire l’ordre caché.

De cette anarchie il fera émerger les lois de l’Histoire comme science, les principes de son étude à travers l’analyse de l’ensemble des phénomènes sociaux.

C’est au château d’ Ibn Salâma, dans le district d’Oran, où il vécut quatre années de sérénité, qu’il pose les bases de la « Muqaddima » ou « prolégomènes » à son « Histoire universelle » et amorce d’une réflexion ethnologique.

L’étude est ambitieuse : « M’introduisant, par la porte des causes générales, dans l’étude des faits particuliers, j’embrassai, dans un récit exhaustif, l’histoire du genre humain. »

D’après Gaston Bouthoul la Muqaddima « …constitue un des moments solennels de la pensée humaine ».

Il y développe l’analyse de « açabbiyya » : « esprit de clan, de parti », et de « umran » : « civilisation » dont les deux pôles, bédouinité et citadinité s’opposent de manière récurrente.

« Les arts ne se perfectionnent qu’en fonction du raffinement et de l’ampleur atteints par la civilisation urbaine.. »

Sa réflexion le conduit à analyser la critique historique, l’incertitude des chiffres, les causes des erreurs, l’homme comme animal politique, les sept climats de la géographie humaine, l’influence de l’air sur le comportement humain, les classes sociales, l’aptitude aux arts, les langages et les sociétés… bref sa pensée embrasse l’ensemble des phénomènes sociaux, et sa lucidité devant les drames de son temps est sans ambages.

« …En réalité, l’Histoire se caractérise par l’examen et la vérification des faits, la recherche précise des causes et des origines des choses existantes, la connaissance profonde de la manière dont les évènements se sont passés. L’Histoire forme donc une branche importante de la philosophie et mérité d’être comptée au nombre de ses sciences ».

La sociologie est pour lui auxiliaire de l’histoire, cette « science nouvelle ».

Sa pensée est éminemment réaliste, logique, il se méfie de la raison spéculative.

Il étudie l’étiologie des déclins, les symptômes et maux dont meurent les civilisations : il est clair, pour lui, que la sienne vit ses derniers jours et que l’avenir appartient à d’autres bords…

Plusieurs chercheurs, dont Yves Lacoste, n’ont pas manqué de rapprocher sa pensée de celle de Marx : en effet il parle de « classes sociales », et du mouvement dialectique de la bédouinité et de la citadinité.

Il est d’une étonnante modernité lorsqu’il utilise les notions de contradictoire, antithétique, opposition, complémentarité des contraires, ambiguité et complexité des sociétés.
Deux extraits illustrent cette proximité d’analyse :

Ibn Khaldoun : « Les différences que l’on remarque entre les générations dans leurs manières d’être ne sont que la traduction des différences qui les séparent dans leur mode de vie économique. »

Marx : « Le mode de production de la vie matérielle détermine, en général, le processus social, politique et intellectuel de la vie ».

En outre, Ibn Khaldoun développe un concept de psychologie sociale très riche et nuancée, se divisant en psychologie politique, économique, éthique, tout ceci formant une psychologie générale inscrite dans l’Histoire.

Ses nombreuses volte-faces politiques, mouvementées, l’ont fait accuser par certains de carriérisme et d’opportunisme.

Sa vie entière, véritable reflet de son temps, fut parsemée de drames – il a perdu sa femme et tous ses enfants dans un naufrage.

En outre, ni son enseignement ni sa « Muqaddima » ne firent d’émules ou de successeurs.
Sa pensée se perd dans les convulsions des siècles de déclin du monde arabo-musulman pour n’être redécouverte qu’en 1697 par d’Herbelot, puis Silvestre de Sacy en 1806.

AWRANGZIB
Inde, 1618-1707, r. 1658-1707

Troisième fils de l’empereur moghol Shâh Jihân, Awrangzîb est nommé vice-roi du Deccan en 1636, fonction qu’il abandonne en 1644, probablement par peur de ne pas être choisi par son père pour la succession au trône. Il accepte cependant d’être gouverneur du Gujarat en 1646, puis de Multân (1648). Awrangzîb établit dès lors sa réputation d’administrateur et de général, malgré ses défaites face aux Persans, lors des sièges de Kandahar (1649 et 1651). En 1657, Shâh Jihân tombe malade. La guerre de succession (1658-1659) entre les quatre fils de Shâh Jihân s’achève sur la victoire d’Awrangzîb, qui célèbre son couronnement le 5 juin 1659, après avoir fait exécuter ses frères. Au long de son règne, il doit faire face à de nombreuses guerres qui ravagent son royaume, conduisant peu à peu à l’affaiblissement de l’empire moghol. Awrangzîb est réputé pour être rigoriste, méfiant et conservateur, et avoir régné selon les préceptes les plus stricts de l’Islam. L’interdiction de professer le culte hindou qu’il décide d’établir en 1669 provoque de grandes révoltes, tout comme la réintroduction de la jizia, un impôt prélevé seulement sur les non-musulmans. Il s’est montré également d’une sévérité extrême à l’encontre de toute représentation figurée. Awrangzîb meurt en 1707, à l’âge avancé de 89 ans. Il est le dernier des grands moghols.

Awrangzîb était un contemporain de Louis XIV (1638-1715, r. 1643-1715).

FATH ‘ALI SHAH

Iran, 1771-1834 ; r. 1797-1834

Né sous le nom de Bâbâ Khan, il gouverne plusieurs provinces comme le Fârs et le Kermân (Iran), avant d’être désigné héritier du trône perse en 1796 par son oncle Aqa Muhammad Khan, qui sera assassiné en 1797. Cette même année, il monte sur le trône en prenant le nom de Fath ‘Alî et devient ainsi le deuxième souverain de la dynastie qâjâre. Au cours de son règne de plus de 38 ans, marqué par les nombreuses guerres, notamment avec la Russie, Fath ‘Alî Shâh a noué d’importantes relations avec l’Europe, et plus particulièrement avec la Grande-Bretagne. Ainsi, la réforme de l’armée perse fut d’abord conseillée par des officiers français, puis britanniques. Fath ‘Alî Shâh est réputé pour avoir gouverné de manière arbitraire et autocratique, tout en instaurant un rituel de cour pompeux et solennel.

Fath ‘Alî Shâh était un contemporain de Napoléon Bonaparte (1769-1821).